dimanche 29 avril 2012

dimanche truite


James Prosek, Brown trout - salmo trutta dentix


Il a beaucoup plu cette nuit. Ce matin, les eaux du Dourdou sont grosses et chargées d'argile - rouges comme le gré. Il est trop tard pour prétendre attraper une truite. Dans quelques jours, quand le ruisseau aura pris une teinte presque grise, le moment sera à nouveau venu de se prendre pour l'écrivain pêcheur de truite en Amérique.
"Je lançai un œuf de saumon et le laissai dériver vers le rocher et VLAN ! une bonne touche ! et j’avais le poisson au bout de la ligne et il filait dur dans le courant, suivant un angle et restant au fond et tirant vraiment dur, franc et sans compromis, et soudain le poisson sauta et pendant une seconde je crus que c’était une grenouille. Je n’avais jamais vu un poisson comme ça.
Nom de Dieu ! Quel bordel !
Le poisson fila au fond de nouveau et je pouvais sentir son énergie vivante remontant en hurlant le long de la ligne vers ma main. La ligne était comme du son. C’était comme une sirène d’ambulance qui viendrait droit sur moi, le gyrophare rouge lançant des éclairs, et qui repartirait à nouveau et soudain décollerait et deviendrait une sirène de raid aérien.
Le poisson sauta encore quelques fois et ressemblait toujours à une grenouille, mais il n’avait pas de pattes. Il a fini par se fatiguer et se ramollir, et je l’ai tiré dans une éclaboussure de la surface de l’eau vers mon épuisette.
Le poisson était une truite arc-en-ciel de douze pouces avec une énorme bosse sur le dos. Une truite bossue. La première que j’aie jamais vu. La bosse était probablement due à une blessure que la truite aurait reçue quand elle était jeune. Peut être qu’un cheval l’avait piétinée ou qu’un arbre était tombé pendant un orage ou que sa mère avait frayé où ils étaient en train de construire un pont.
Cette truite avait quelque chose d’admirable. Si seulement j’avais pu en faire un masque mortuaire. Pas de son corps, mais de son énergie. Je ne sais pas si quiconque aurait pu comprendre son corps. Je le mis dans mon panier.
Plus tard cette après-midi là, quand l’obscurité gagnait les bords des cabines téléphoniques, j’ai pointé, quitté le torrent et je suis rentré chez moi. J’ai mangé cette truite bossue au dîner. Panée à la farine de maïs et frite au beurre, sa bosse était aussi douce qu’un baiser d’Esmeralda." (Richard Brautigan, La truite bossue in La pêche de la truite en Amérique, éditions 10/18)
Si vous n'avez jamais pêché la truite, sachez qu'il n'y a rien de fantaisiste à ce texte. Tout y est des émotions qu'on ressent, du moment où on se connecte au poisson jusqu'à celui où on le mange.

Anne-Sophie Théron, La truite, 10 façons de la préparer, éd.. de l’Épure

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